samedi 24 février 2007

Le Château Brûlé: La grève




A ce moment, il était exactement 8 heures, un incendie se déclarait dans la maison de Mr Edouard Riquier. Les habitants accoururent au secours. Les pompiers des communes voisines arrivèrent sur les lieux du sinistre presque aussitôt. Mais l’affluence des grévistes empêche les secours. On entend des cris: “Laissez brûler I”
Les tuyaux des pompes à incendie sont crevés.
Quelques meubles que des habitants ont sauvés sont jetés par les grévistes dans la mare sise en face de la maison incendiée.
L ‘incendie a débuté dans une des pièces se trouvant derrière l’immeuble.
De l’enquête à laquelle s’est livré le parquet, il paraîtrait résulter qu’un bidon de pétrole aurait été déposé dans le lit de Mr Edouard Riquier et que c’est en cet endroit que le feu a pris naissance.
Par arrêté préfectoral, les attroupements sont interdits et la fermeture des débits et cafés est fixée à 8 heures du soir.
Renforts de troupes : jeudi matin à 4 heures ont débarqués à Feuquières un escadron du 2ème hussards de Senlis, un demi escadron du 3ème chasseurs à cheval, trois compagnies du 72ème d’infanterie venant d’Amiens et d’Abbeville. Ces dernières troupes seront dirigées sur Escarbotin.
Dans la journée, deux escadrons du 15ème régiment de chasseurs à cheval venant du camp de Châlons sont arrivés à Woincourt.


Vers le soir deux nouveaux escadrons du 6ème régiment de cuirassiers, débarquaient à Feu quières, venant en droite ligne également du camp de Châlons.
Le château incendié de Mr Edouard Riquier venait d’être magnifiquement restauré et les travaux étaient à peine achevés lors de la grève. Les dégâts causés, dans la Commune de Fressenneville par les manifestants, s’élèveraient à 500.000 francs. Ajoutons qu’il n’est nullement prouvé que l’incendie ait été volontairement provoqué. Il est possible qu’if ait éclaté à la suite de l’invasion et du saccage, mais rien ne montre qu’il soit le fait voulu des assaillants. »
Le Syndicat du Fer local, pour une première fois jouera un rôle de coordinateur et organisera la solidarité, ce qui lui permettra pour une première fois de recevoir une légitimité et d’être reconnu comme organisation syndicale. Le 7 avril 1906, une manifestation était organisée à Fressenneville. De partout les curieux sont accourus. Les trains venant d’Amiens et Abbeville, comme ceux de la direction du Tréport et Eu, ont amené une foule considérable malgré la présence de l’armée qui fut par la population accueillie aux cries de « Vive l’armée » et sans hostilité, Fressenneville avait l’aspect d’un village occupé. Les cavaliers continuent de promener les chevaux. Quant aux fantassins cantonnés à l’usine Riquier, ils ont organisé dans la cour un concert qui arrête les passants devant les grilles.
A 4 heures, les grévistes se sont réunis à l’hôtel du Papillon d’Or. Le Syndicat du fer organisait la manifestation, le cortège se forme et se met en route dans la direction de Feuquières.
- En tête deux cyclistes dont l’un accompagne ses coups de pédale du chant de la carmagnole Fressennevilloise,.Derrière les cyclistes vient un groupe de femmes, l’une d’elles portant le drapeau rouge frangé d’or du Syndicat du \/imeu Un millier d’hommes environ, des jeunes, des vieux, des petits, des grands, des gros, des maigres, suivent chantant la carmagnole avec un accent in traductible


Ah l ça iRRRRRRRA, ça iRRRRRRRA : Les ouvriers ont composé eux-mêmes une carmagnole :


La carmagnole de Fressenneville


Nous avons droit au syndicat (bis)
Les Riquier ne l’empêch’ront pas (bis)
Et malgré les commis (noms des commis)
Nous déclarons la grève
Vive le son (bis)
Nous resterons tous solidaires (bis)
Allons amis, soyons tous frères (bis)
Car c’est le seul moyen
De ne plus crever d’faim
Revendiquons nos droits
Vive le son (bis)
Ils ont chassé un ouvrier (bis)
Nous voulons le réintégrer (bis)
Et s’ils ne marchent pas
Nous les mettrons au pas
Par l’action directe
Vive le son (bis)
Nous n’avons pas peur des soldats (bis)
La crosse en l’air, gibernes bas (bis)
Ne s’ront pas fusilleurs,
Esclaves des exploiteurs
Ils tourneront leurs armes Vive le son (Bis)


Arrivés à la briqueterie qui sépare Fressenneville de Feuquières, les manifestants font demi-tour et vont chanter devant l’usine et le château de Mr Julien Riquier. Après quoi une nouvelle réunion, au cours de laquelle on a beaucoup péroré et encore plus conspué les patrons, a été tenue à l’hôtel Papillon Blanc.
Les gendarmes et les hussards qui suivaient la colonne des manifestants n’ont pas eu à intervenir. Dans la journée, des quêtes ont été faites dans la commune au profit des grévistes.
La grève fut sévèrement réprimée, un déploiement de troupe a campé à Fressenneville et sa région pendant plus de deux mois afin de contrôler qu’il n’ y ait pas de débordement et surtout que la grève ne fasse pas d’émule ailleurs, La troupe quitta Fressenneville le 20 août 1906
Dix-huit arrestations: (Fressenneville, le 11 avril 1906) Le journal d’Amiens :
« La laborieuse (ô combien) mais patiente enquête du parquet d’Abbeville vient d’aboutir. Ce matin, les gendarmes ont opéré l’arrestation de 14 individus compromis dans les graves évènements dont Fressenneville a été le théâtre la semaine dernière.
Accompagnés de gendarmes à pied et encadrés de hussards, ils ont été conduits à la gare de Feuquières- Fressenneville. Ces arrestations étaient attendues, aussi la population ne s’en montre aucunement étonnée, quant aux inculpés, ils n’ont pas fait la moindre résistance.
Sur le passage du cortège les habitants se mettaient sur le pas de leurs portes, mais aucun cri n’a été poussé.
La gare était gardée militairement.
Prisonniers et gendarmes ont pris place dans des wagons réservés du train quittant Feuquières à 9 H 59.
A Abbeville, la gare était également gardée par la troupe.
Les inculpés y sont arrivés à 10H40 et accueillis par quelques cris hostiles Ils sont montés dans deux omnibus réquisitionnés pour la circonstance et, encadrés de gendarmes à cheval, conduits et incarcérés à la prison, qui a repris son aspect de la période jacobiste.
Quatre autres individus ont été arrêtés au commencement de l’après-midi. Ils sont allés rejoindre à la prison leur quatorze compagnons arrêtés ce matin.
Il n’y aurait pas d’équité ni d’objectivité a laisser l’Histoire se raconter sur ces uniques récits, peu de choses ont été écrites, les femmes et les hommes acteurs des faits sont restés dans l’anonymat, filles et fils des grévistes de chez Riquier « chez metteux d’feu » racontent l’événement comme un acte glorieux, fiers que leurs grands parents aient participé à cet épisode de l’histoire locale.
L’édition picarde du journal de Jaurès et quelques écrits restés au Musée social d’Abbeville nous donnes une version des faits plus proche de la réalité de ce qu’ont vécu les acteurs de l’époque :
GERMINAL, journal du peuple hebdomadaire - du 7 au 13 avril 1906.
Il y a trois mois, les ouvriers serruriers de Fressenneville, longtemps réfracta ires, par crainte de leurs seigneurs et maîtres, à l’idée syndicale, se sont décidés tout d’un coup, en prévision du 1er mai, à adhérer au nombre de 300, au syndicat du fer du Vimeu, dont le siège est à Escarbotin. Ces adhésions avaient été tenues secrètes par crainte des représailles patronales. Les Riquier étant les maîtres absolus du pays par le travail qu’ils procurent et les maisons qu’ils louent à leurs ouvriers. Contrairement à ce qu’a déclaré Julien Riquier, les ouvriers sont loin d’être “bien payés et traités paternellement”. Qu’on en juge : part quelques gros employés et quelques larbins qui gagnent 30 F par semaine à moucharder leurs camarades et, entre parenthèses, qu’on e toujours soin de montrer aux visiteurs de l’établissement pour prouver la philanthropie de ces messieurs, le salaire de la majorité des ouvriers n ‘est en moyenne que de 16 à 18 F par semaine. Beaucoup d’ouvriers ne gagnent même que de 6 à 9 P. Monsieur Julien, en parlant de bien payer, s’est peut-être trompé, Ha sans doute voulu parler des maisonnettes de la cité, qu’il loue 2,50 F par semaine. Ce qui est bien payé pour des loyers de campagne. -
Naturellement, le secret des syndiqués ne pouvait être gardé bien longtemps et les maîtres en eurent bientôt vent Voulant briser tout de suite cette résistance inattendue à leur autocratie, ils interrogèrent samedi dernier un de leurs employés qui est lui-même syndiqué. Celui-ci répondit franchement qu’il appartenait au syndicat et que c’était son droit Devant une réponse -aussi catégorique, les patrons habitués depuis longtemps à une obéissance passive, lui donnèrent immédiatement congé pour la quinzaine. Tous les syndiqués furent convoqués pour lundi à une réunion à Friville. A la majorité absolue, les ouvriers se déclarèrent solidaires de leur camarade.
En rentrant à Fressenneville, une manifestation s’organisa au chant de l’internationale et de la carmagnole.

Le mardi, lorsque l’employé revint à son travail, les patrons lui offrirent de lui payer tout de suite sa quinzaine pour le renvoyer définitivement de l’atelier, ce qu’il refusa catégoriquement. Le secrétaire du syndicat fut alors chargé de s’aboucher avec les patrons, à midi, il fit cette démarche et reçut pour réponse qu’on ne voulait pas parlementer avec le syndicat. C’était la lutte ouverte. A la rentrée de 2 heures, l’employé fut mis à la porte malgré sa résistance et les patrons déclarèrent que tous ceux qui étaient syndiqués pouvaient s’en aller également.
C’est ce que firent immédiatement 250 camarades. Une cinquantaine de timides étaient restés dans l’atelier, mais une heure après, ils se joignirent aux autres.
Cette fois c’était: La grève.
Elfe fut déclarée immédiatement par acclamation. Les ouvriers se formèrent en cortège et parcoururent les principales rues du pays.
Surexcités par le refus du plus insolent des Riquier “Edouard”, ils commencèrent à briser les vitres des habitations des patrons et contre-coups, haïs depuis longtemps de la population pour toutes vexations qu’ils font subir journellement aux malheureux ouvriers.
Se dirigeant ensuite vers le château du patron-maire Julien Riquier, ils enfoncèrent les portes et le saccagèrent en partie. De là, ils allèrent rendre visite à l’associé : Edouard Riquier, cousin germain du premier, par le sang et par la morgue. En un clin d’oeil, portes et grilles de la demeure seigneuriale sont enfoncées, la foule pénètre comme une trombe dans les luxueux appartements, casse tout, brise tout sur son passage et jette les meubles finement sculptés par les fenêtres, met le château complètement à sac. La spontanéité du mouvement n’a pas permis aux autorités de faire venir à temps les baïonnettes. Quant aux gendarmes de Valines, ils s’étaient prudemment cachés dans les caves du contremaître, l’adjoint dont la maison n’a pas été épargnée. Les ouvriers ont composé eux-mêmes une carmagnole.

La manifestation du soir - l’incendie du château :
Vers les 7heures, lorsque les grévistes attaquaient la maison du directeur, ils eurent à essuyer des coups de révolver, tirés sur eux, de l7ntérieur, par le fils du directeur, dit-on, ou par les gendarmes qui s’y tenaient cachés. Ces coups de feu mirent le comble à l’exaspération des ouvriers. Edouard Riquier, paraissant en auto, fut salué à coups de pierres. Une réunion eut lieu chez les Papillon.
Peu après cette réunion, ils retournèrent par la rue qui contourne l’église, au château de Mr Edouard Riquier. Avec des moellons et des briques provenant de la démolition de l’ancienne église, ils assaillirent le château, puis pénétrant à l’intérieur, ils recommencèrent à défoncer les fûts de vin, démolirent et brisèrent tout ce qui était encore intact: meubles, objets d’art, etc..., et jetèrent le tout dans la mare. Les portraits de la famille de Mr Riquier furent déchirés et piétinés.
A ce moment, on annonça l’arrivée d’un détachement du 72ème, venant d’Abbeville. Un certain nombre de manifestants se rendirent au devant des soldats en chantant la “carmagnole”, mais quand la troupe pénétra dans le pays, ils l’accueillirent aux cris de “vive l’Armée”.
Pendant ce temps, on mettait le feu au château. Il était 8 heures. L’incendie se propagea avec une rapidité si grande qu’aucun secours ne put être apporté et bientôt, de la magnifique demeure de Mr Riquier, il ne resta que quatre murs. L ‘automobile avait été, au préalable, réduite en pièces. Pendant l’incendie, plusieurs d’entre eux sont allés chercher, dans une remise située à près de 150 mètres de la maison qui brûlait, une “victoria”, l’ont amenée et l’ont jetée dans le foyer de l’incendie. C’était un aliment de plus pour les flammes.
Les pompiers des communes voisines furent empêchés d’éteindre : “Laissez brûler”, leur dit-on, et les tuyaux furent crevés, pendant que l’on entassait les meubles vernis dans la mare.
De l’enquête à laquelle s’est livré le Parquet, il paraîtrait résulter qu’un bidon de pétrole aurait été déposé dans le lit de Mme Edouard Riquier et que c’est en cet endroit que le feu e pris naissance.
Les faits importants du lendemain mercredi sont : l’arrivée de nombreux soldats et gendarmes, la descente du Parquet d’Abbeville, du Sous-Préfet et même du Procureur Général d’Amiens. Le Député-Maire d’Eu est allé au Ministère réclamer du plomb pour les grévistes; le sous-ordre de Clémenceau a répondu que toutes les mesures avaient été priLes attroupements sont interdits et les cafés fermés après 8heures du soir, par arrêté préfectoral, l’autorité est allée plus vite en besogne que pour sauver les mineurs ensevelis dans les mines (une catastrophe minière venait d’ensevelir 1200 mineurs).
Les syndiqués réunis à Escarbotin, ont voté la grève générale pour toutes les usines métallurgistes du Vimeu, prenant ainsi fait et cause pour les ouvriers de Fressenneville, défenseurs du droit syndical, devant le refus net et cassant d’Edouard Riquier de reconnaître ce droit ratifié par la loi bourgeoise elle-même. Les Riquier sont disparus, on ne les a pas revus. Bon voyage l Les pompiers ont disposé leurs pompes dans les cours de l’usine, de la demeure de Julien Riquier et de celle du directeur, dans la crainte de nouveaux incendies. L’ouvrier congédié travaille depuis neuf ans à l’usine Riquier, c’est assez dire s’il connaît la façon “toute paternelle”dont on est traité dans ce bagne. Lorsqu’on voulut le forcer à sortir de l’usine, il paraît qu’il répondit que l’usine “appartenait aux ouvriers” et non au patron et que, par conséquent, il était- lui ouvrier- chez lui. Ce propos explique pourquoi l’usine, elle-même, n’a pas eu à subir des déprédations des grévistes qui, d’après leur théorie, doit, un jour ou l’autre, leur revenir.
(Bibliothèque d’Abbeville, extrait du musée social)

Le pillage a commencé dans la maison de Mr Julien Riquier:
- trois pièces du rez de chaussée furent mises à sac
- les portes de la cave sont défoncées
- femmes, hommes et enfants sont bientôt ivres et leur ivresse furieuse les pousse vers la maison de Mr Edouard.
Là, plus de retenue, l’ivresse a fait son oeuvre.
Tout le monde se rue au pillage.
La foule bientôt lassée court de nouveau à la maison de MrJulien. Mais là, deux domestiques avaient attachés les grilles avec des chaînes. Et après quelques essais infructueux, on revînt à la villa de Mr Edouard. Ce qui ne pouvait être détruit ou lacéré fut jeté dans une mare d’eau croupissante qui se trouve de l’autre côté de la rue. Enfin, on mit le feu et bientôt cette belle villa, qui venait à peine d’être terminée, ne fut plus qu’un brasier. Et, pendant ce temps, que faisaient les trois gendarmes de Valines.
- l’un fut trouvé tremblant de peur dans un bosquet du jardin. La foule ne lui fit aucun mal.
- un autre resta caché jusqu’à la nuit dans un coffre à avoine.
- et le troisième s’ensevelit sous des paillassons dont le jardinier se servait pour couvrir ses couches.
Ce n’est qu’à huit heures du soir qu’arriva un capitaine de gendarmerie avec 25 hommes d’infanterie. Il dut se contenter de regarder brûler la maison et d’assister, témoin impassible, à l’orgie furieuse que l’ivresse avait déchaînée. L’état de la foule était tel, dit-il dans son rapport, qu’on n’aurait pu en venir à bout qu’à coups de fusil.
L’usine a été réouverte le 20 août.
Les fauteurs du désordre n’ont pas été punis.
Trente deux devaient être envoyés devant les assises.
12 étaient des ouvriers de l’usine.
1 seul d’entre eux avait 32 ans, les autres de 16 à 25 ans seulement.
Tous furent compris dans l’amnistie nationale, aucun ne fut condamné.
L’état d’esprit de la population est à noter. Il y règne un mélange singulier d’immoralité et de religiosité. Les naissances illégitimes sont très nombreuses. Une jeune fille qui s’était signalée dans le pillage et se trouvait une des principales inculpées dans le procès des incendiaires, édifiait la paroisse, tout de blanc vêtue, suivant la coutume, à l’enterrement d’une autre jeune fille du pays. La population est d’ailleurs fort calme d’ordinaire.
ses afin que l’ordre ne soit plus troublé.
Les attroupements sont interdits et les cafés fermés après 8heures du soir, par arrêté préfectoral, l’autorité est allée plus vite en besogne que pour sauver les mineurs ensevelis dans les mines (une catastrophe minière venait d’ensevelir 1200 mineurs).
Les syndiqués réunis à Escarbotin, ont voté la grève générale pour toutes les usines métallurgistes du Vimeu, prenant ainsi fait et cause pour les ouvriers de Fressenneville, défenseurs du droit syndical, devant le refus net et cassant d’Edouard Riquier de reconnaître ce droit ratifié par la loi bourgeoise elle-même. Les Riquier sont disparus, on ne les a pas revus. Bon voyage l Les pompiers ont disposé leurs pompes dans les cours de l’usine, de la demeure de Julien Riquier et de celle du directeur, dans la crainte de nouveaux incendies. L’ouvrier congédié travaille depuis neuf ans à l’usine Riquier, c’est assez dire s’il connaît la façon “toute paternelle”dont on est traité dans ce bagne. Lorsqu’on voulut le forcer à sortir de l’usine, il paraît qu’il répondit que l’usine “appartenait aux ouvriers” et non au patron et que, par conséquent, il était- lui ouvrier- chez lui. Ce propos explique pourquoi l’usine, elle-même, n’a pas eu à subir des déprédations des grévistes qui, d’après leur théorie, doit, un jour ou l’autre, leur revenir.
(Bibliothèque d’Abbeville, extrait du musée social)

Le pillage a commencé dans la maison de Mr Julien Riquier:
- trois pièces du rez de chaussée furent mises à sac
- les portes de la cave sont défoncées
- femmes, hommes et enfants sont bientôt ivres et leur ivresse furieuse les pousse vers la maison de Mr Edouard.
Là, plus de retenue, l’ivresse a fait son oeuvre.
Tout le monde se rue au pillage.
La foule bientôt lassée court de nouveau à la maison de MrJulien. Mais là, deux domestiques avaient attachés les grilles avec des chaînes. Et après quelques essais infructueux, on revînt à la villa de Mr Edouard. Ce qui ne pouvait être détruit ou lacéré fut jeté dans une mare d’eau croupissante qui se trouve de l’autre côté de la rue. Enfin, on mit le feu et bientôt cette belle villa, qui venait à peine d’être terminée, ne fut plus qu’un brasier. Et, pendant ce temps, que faisaient les trois gendarmes de Valines.
- l’un fut trouvé tremblant de peur dans un bosquet du jardin. La foule ne lui fit aucun mal.
- un autre resta caché jusqu’à la nuit dans un coffre à avoine.
- et le troisième s’ensevelit sous des paillassons dont le jardinier se servait pour couvrir ses couches.
Ce n’est qu’à huit heures du soir qu’arriva un capitaine de gendarmerie avec 25 hommes d’infanterie. Il dut se contenter de regarder brûler la maison et d’assister, témoin impassible, à l’orgie furieuse que l’ivresse avait déchaînée. L’état de la foule était tel, dit-il dans son rapport, qu’on n’aurait pu en venir à bout qu’à coups de fusil.
L’usine a été réouverte le 20 août.
Les fauteurs du désordre n’ont pas été punis.
Trente deux devaient être envoyés devant les assises.
12 étaient des ouvriers de l’usine.
1 seul d’entre eux avait 32 ans, les autres de 16 à 25 ans seulement.
Tous furent compris dans l’amnistie nationale, aucun ne fut condamné.
L’état d’esprit de la population est à noter. Il y règne un mélange singulier d’immoralité et de religiosité. Les naissances illégitimes sont très nombreuses. Une jeune fille qui s’était signalée dans le pillage et se trouvait une des principales inculpées dans le procès des incendiaires, édifiait la paroisse, tout de blanc vêtue, suivant la coutume, à l’enterrement d’une autre jeune fille du pays. La population est d’ailleurs fort calme d’ordinaire.


Il n’y eu pas d’autre château brûlé dans le Vimeu.
Le Syndicat du Cuivre, devenu Syndicat CGT des Métaux s’est structuré étant reconnu comme principal interlocuteur du patronat local. Une anecdote remontant à avril 1983 nous rappelle le caractère trempé des salariés du Vimeu : Le Syndicat patronal locale tardait à mettre en place la réduction d’une heure de la durée du travail mise en place par le nouveau gouvernement d’ « union de la gauche ». Exaspéré par l’ironie de l’illustre De Monclin porte parole du patronat vimeusien de l’époque, une manifestation au siège de la Chambre patronale de Woincourt dégénéra, les manifestants s’en prirent aux locaux, sortirent le mobilier et les ornements de la maison des patrons, comme pour affirmer que les moyens de leurs pères utilisés en 1906 lorsqu’il fallait faire appliquer la loi aux patrons demeuraient. Le syndicat patronal en tira vite la leçon et un accord sur 38h 30 fut appliqué.
Les travailleurs du Vimeu savent montrer qu’ils existent et qu’ils ne doivent pas être traités différemment, dur au travail, patients, mais aussi dur quand ils se sentent humiliés ou maltraités, ils ne s’embarrassent pas des protocoles ou des manières pour se faire respecter. Cet aspect anarcho-syndicaliste traversera le siècle, il reste difficile à corriger, bien que la culture syndicale évolue et s’élargie vers différents aspects de la vie économique et sociale, les ouvriers du Vimeu restent attachés à de grands principes d’identités.
C’est sûrement une qualité.

dimanche 18 février 2007


Les Salariés du Vimeu, avec la CGT s’opposent à toute FERMETURE d’entreprise dans le VIMEU.
Madame Ségolène Royal, Madame la Candidate

Le projet de fermeture de la serrurerie LAPERCHE à FRIVILLE-ESCARBOTIN décidé par le Groupe ASSA-ABLOY est la première étape d’une désertification industrielle du Vimeu. Depuis les années 90 , les patrons du Vimeu ont laissé les capitaux étrangers contrôler les entreprises : LAPERCHE à Friville-Escarbotin, FICHET à Oust-Marest, Stremler à Nouvion sous contrôle d’ASSA-ABLOY. Bricard cédé à Cisa est aujourd’hui sous domination américaine du groupe INGERSOLL-RAND, comme WATTS Industries ou NEWELLS à Feuquières, Morel à Arrest cédé à la Comap. Le Pôle Verrier de la Vallée de la Bresle est menacé ainsi qu’ ALCALTEL à EU.

Aujourd’hui, face au redéploiement, aux délocalisations vers les pays Asiatiques ou d’Europe de l’Est. Après avoir exploité et engrangé d’énormes bénéfices dans les usines du Vimeu qu’elles contrôlent, ces multinationales peuvent à tout moment, comme le fait le groupe Suédois, laisser tomber les entreprises du Vimeu au prétexte qu’elles ne seraient plus assez rentables, cela sans se soucier des dégâts sur l’emploi, sur les salariés et sur la vie économique et sociale du Vimeu. L’ensemble du Vimeu est concerné, la fermeture de l’usine LAPERCHE serait la porte ouverte à d’autres restructurations dans le Vimeu ! Le Vimeu concentre 85 % de la production nationale de la robinetterie gaz et 60% pour le sanitaire. La serrurerie, quant à elle, fabrique 70% de la production française. Peu d’entreprises sont encore indépendantes avec la concentration de capitaux étrangers et sont livrées aux décisions du grand capital. Comme palliatif à la course aux profits le patronat du Vimeu s’oriente vers l’importation massive de produits de négoces qui sont estampillés comme étant des produits du Vimeu, cela va durablement nuire à la réputation des fabrications locales.

D’autres solutions existent, il nous faut les imposer :

L’Union Locale CGT et le Collectif des Métallos du Vimeu proposent notamment l’idée d’un « LABEL » reconnu comme obligatoire pour les produits fabriqués en totalité dans la zone de la Picardie Maritime. Une sorte d’AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) qui répondrait à des critères de hautes technologies et à des normes de qualité unique. Le Vimeu s’est toujours caractérisé depuis plusieurs siècles par l’innovation dans le domaine de la serrurerie et de la robinetterie.

Cette spécificité historique de qualité, de haute technologie et de savoir faire local doit être poursuivie. Des budgets de recherches et développement doivent être mis en commun pour innover vers la serrure électronique de haute sécurité de demain, l’évolution de la robinetterie domestique de haute technicité et la robinetterie de luxe ainsi que d’une manière générale tout ce qui touche au développement de la dométique. Le Vimeu a encore beaucoup d’atout. Pour cela, un maximum de salariés doivent se mobiliser pour s’opposer à la politique des grands groupes industriels qui n’ont comme objectifs la récupération des marchés et la recherche des taux de profits les plus importants possibles.

La CGT se veut force de proposition et actrice avec les salariés pour

VIVRE ET TRAVAILLER AU PAYS DU VIMEU.
- Fabriquer dans le Vimeu des serrures et robinets en créant un LABEL de Fabrication pour empêcher les importations sauvages de produits de basses qualités.

- Développer, innover dans des produits de hautes technicités. - Augmenter les salaires avec un SMIC à 1.500 € mensuel et 300€ tout de suite.

- Réduire le temps de travail à 35 heures partout.

- Promouvoir et développer la Formation Professionnelle.


POUR LE DEVELOPPEMENT ET LE MAINTIEN DE L’EMPLOI INDUSTRIEL DANS LE VIMEU. NON A LA FERMETURE PROGRAMMEE DE LA SERRURERIE LAPERCHE

Rien ne justifie la fermeture des Etablissements LAPERCHE, le Groupe ASSA-ABLOY doit stopper la restructuration en cours qui prévoit 900 licenciements dont 180 à FRIVILLE-ESCARBOTIN.

L’entreprise est viable, sans problème financier et les commandes afflues. ASSA-ABLOY vient d’acquérir pour 300 Millions de Dollars 4 usines, deux en Amérique, Autriche et Canada. Ce Groupe fait d’énormes bénéfices, sa décision s’inscrit dans la logique du profit dans le seul but de satisfaire ses actionnaires au mépris de l’emploi et de la vie économique et sociale du Vimeu.

La serrurerie dans son ensemble est menacée, l’emploi industriel dans le Vimeu, le Ponthieu, la Vallée de la Bresle est abandonné.

Des centaines d’emplois liquidés d’autres sont menacés :

- CCO : 84 emplois liquidés à Beauchamps pour concentrer la production en Italie

- Quatres autres liquidations d’entreprises : Eurofonte à Yzengremer , GDLS Polissage à Woincourt et Axes-industries à Allenais, Huard à Friville-Escarbotin = 77 emplois

- Morel à Arrest : 30 licenciements. - SIMOP à Bouillancourt en Sery 11 licenciements

- Newells Fashion France à Feuquières poursuit sa restructuration.

- Prospective Outillage à Friville-Escarbotin délocalise en Europe de l’Est - Les Caoutchoucs Modernes, groupe Total, délocalise une partie de sa production en Pologne.

- Valéo Abbeville annonce 120 suppressions de postes, - Valentin (120 emplois) à Bourseville menacée. - Stremler à Nouvion déplace sa production à Oust-Marais : 110 emplois

- Le Pôle Verrier de la Vallée de la Bresle vendu aux fonds de pensions menace de liquider 500 emplois d'ici 2009.

- ALCATEL annonce 63 licenciements à EU et 100 intérimaires

Les salariés de la serrurerie LAPERCHE, leur Syndicat CGT avec le soutient des salariés des usines FICHET et STREMLER, appartenant au groupe ASSA-ABLOY, l’Union Locale CGT Vimeu-Bresle, les salariés, la population du Vimeu attendent de vous, Madame Ségolène Royal, Madame la Candidate votre intervention et engagement à maintenir et développer l’emploi industriel dans le Vimeu.

dimanche 11 février 2007

Ségolène et l'attente des petits gens !


Le débat est pour le moment caricaturé par des questions subalternes, les droits des homos, la carte scolaire, l'amnistie viendront après.

1.500€ tout de suite avec une avance de 300€ pour vivre normalement, c'est ce qu'attendre plus de 7 millions de salariés qui actuellement vivent avec moins de 1.000€ par mois.

Un vrais programme pour l'emploi, les mesures pour empêcher les délocalisations, le maintien et le développement des emplois industriels, l'interdiction de licencier dans les entreprises qui font des bénéfices....C'est ce qu'attendent plus de 5 millions de sans emplois, précaires qui vivent sans revenu de leur travail.

Une véritable politique d'éducation et de formation pour les jeunes.

L'augmentation des retraites, un véritable droit à la santé.

Ce sont les vrais réponses à ces questions qui feront gagner ou perdre les élections au parti socialiste.

GH

samedi 10 février 2007

La révolte des Riquier (1)


Le Vimeu Rouge : Le Château Riquier
Des Ouvriers-paysans devenus compagnons, tous fourmillent maintenant dans les fabriques du Vimeu. Durant la seconde moitié du 19ème siècle, l’industrie s’est structurée, dans les villages, les usines de serrureries, fonderies et robinetteries font travailler l’ensemble de la population. Le paternalisme règle la vie au travail et la vie économique locale est réglée autour de l’usine, les familles d’industrielles dont les patrons sont souvent les maires des villages règnent en maître. Suivant un extrait du Musée sociale de la bibliothèque d’Abbeville ont peu lire :
« Une des maisons les plus importantes du Vimeu est la maison Riquier, fondée par Mr Guerville père, à Fressenneville, au commencement du siècle dernier et fondée dans les conditions les plus modestes. Mr Guerville fils donna de l’extension à son industrie, Il y joignit d’ailleurs un commerce de denrées alimentaires, de provisions de ménage et d’habillement pour ses ouvriers. Deux frères, Messieurs Riquier vivaient alors à Abbeville et y tenaient un commerce de quincaillerie modeste, mais prospère. L ‘un des deux frères Mr Ernest Riquier, épousa Melle Guerville, qui était un beau parti. L ‘autre Mr Théophile, épousa une orpheline, nièce de Mr Guerville, élevée et dotée par lui. Vers 1870 les deux frères succédèrent à Mr Guerville. gendre de Mr Guerville étant alors le maître absolu de la Commune. Les deux frères Riquier avaient eu chacun un fils : Mr Julien et Mr Edouard Riquier. En 1890, ils cédèrent leur établissement industriel à ces deux cousins germains. Mr Julien Riquier était le maire du village, maire à vie toujours réélu sans concurrent. Ce qui a déterminé l’émeute sauvage du 3 avril 1906, c’est dit-on, le luxe affiché par les patrons, dans ce petit village où l’on voyait se dressant en face des pauvres maisonnettes des ouvriers, trois belles villas habitées par les deux cousins et par la mère de l’un d’eux. C’est l’emploi des automobiles, dit-on encore, et l’habitude des chasses en forêt, ce sont les toilettes des classes trop éclatantes dans ce petit village industriel, c’est la construction de maisons somptueuses remplaçant les modestes habitations des parents »
L’étalement des richesses accumulées par cette bourgeoisie locale, issue souvent du milieu Ouvriers-paysans est une provocation mal ressentie par la population besogneuse qui se trouve être soumise à ces décideurs locaux chez qui le destin a souri mieux qu’à d’autres. Le patronat local a d’ailleurs retenu les leçons du passé et n’étale plus son patrimoine personnel aux yeux de tous. Seuls vestiges des années pionnières de l’industrie du Vimeu restent les luxueuses villas et châteaux construites vers la fin des années 1800, demeures des familles : Bricard, Riquier, Decayeux, Riche, La perche et consoeurs qui forment le patrimoine immobilier du Vimeu. L’on découvre ces battisses au centre des villages de Fressenneville, Friville, Tully Béthencourt… témoins de l’ère prospère et de l’enrichissement de la bourgeoisie vimeusienne. Aujourd’hui il faut chercher sur la Côte d’azur en Savoie où au Touquet pour croiser les industriels du Vimeu en vacances dans leurs villas non moins somptueuses.
La vie rythmée autour des usines est dure, les ouvriers mal payés doivent en plus se servir de leur outillage, les limes, boeuf à polir sont la possession des ouvriers. La loi de 1884 légitimant les syndicats va favoriser l’organisation des salariés mais peu de trace dans l’histoire locale ne témoigne de la naissance du syndicalisme vimeusien avant la création en 1895 de la Confédération Général du Travail et du Syndicat du fer qui se forme à Escarbotin dans la clandestinité. Pas question d’afficher devant le patron son appartenance au syndicat la répression est telle que ceux connus comme propagandisme syndical sont exclus des usines et interdits de travail dans le Vimeu. Des grèves de dockers dans le port du Tréport en 1897 vont émanciper le mouvement syndical mais il restera très discret jusque l’arrivée du nouveau siècle, le Syndicat du Fer composé d’une quarantaine de membres connus est diabolisé, ses membres sont fichiers par la police et considérer terroristes. Les structures du Syndicat du Fer permettent dans un premier temps de comparer les salaires des ouvriers entre les fabriques la moyenne à cette époque d’une quinzaine est de 30 F, dans certaines usines dont Riquier à Fressenneville les salaires se situent autour de 20 F d’où il faut déduire un loyer de 2,50 F par semaine. Afin de situer l’état d’esprits du patronat local, l’interview des Riquier donné au Journal d’Amiens en Avril 1906 après l’affaire du château est édifiante :
Interview de Messieurs Riquier, Julien et Edouard.
Messieurs Riquier donnent quelques renseignements sur l’usine dont ils sont les propriétaires:
« L ‘usine de serrurerie de Fressenneville nous vient de nos parents, nous l’aimions comme on aime la maison paternelle et nous aimions nos ouvriers, dont les vieux nous ont connus tout enfants et dont nous tutoyons les plus jeunes : nous nous considérions parmi eux comme en famille; quatre générations de patrons et quatre générations d’ouvriers y ont participé à l’oeuvre commune et jamais il n’y avait été question de grève, de syndicat, de réclamation d’aucune sorte. Les salaires de nos ouvriers étaient les plus élevés de tout le Vimeu, c’était le tarif qu’on réclamait encore récemment dans une grève du voisinage. Nous avions la plus grande confiance dans tout notre personnel et nous pensions pouvoir compter sur la réciprocité de ces sentiments. Ce déchaînement inattendu de haine nous a touché, nous a bouleversé, nous a atteint beaucoup plus que la perte de nos propriétés.
- Des anarchistes connus étaient venus s’établir dans le pays. Le dimanche soir il y avait des parlottes, des réunions depuis trois mois surtout Trois ou quatre anarchistes colporteurs habitaient le village. C’était des gens connus de la police, ayant leurs dossiers au parquet d’Abbeville, poursuivis déjà et arrêtés plusieurs fois quand on redoutait un attentat, Des “compagnons” signalés comme très dangereux. Plusieurs étaient nés dans le pays. Ils catéchisaient un par un nos ouvriers dans les estaminets, s’adressant surtout aux jeunes gens de quinze à vingt cinq ans, leur démontrant qu7ls devaient se solidariser avec leurs camarades des autres usines, qu’ils pourraient ainsi profiter de bien des avantages. A voir ainsi de huit livres à quatorze sous au lieu de vingt deux, qu ‘en cas de grève on leur verserait 2 francs 50 par jour, tant que les patrons ne céderaient pas. On leur montait la tête, la “révolution sociale” approchait alors l’usine serait à eux. S’ils étaient tous unis, ils seraient bientôt les plus forts, etc.. etc....
Nous comptions sur le bon sens de nos ouvriers et nous ne nous étions pas émus de ces excitations”. Mais il arriva que Messieurs Riquier furent mécontents de l’un de leurs ouvriers. En même temps un autre employé élevé chez Messieurs Riquier et repris à son retour du régiment, au mois d’octobre dernier, fut averti par un contremaître que son travail ne correspondait pas au salaire qu’il touchait On lui offrit un autre travail qu’il aurait pu faire chez lui. Nous avons toujours été très bons avec nos ouvriers. Chaque fois qu’ils se sont trouvés dans l’ennui, nous sommes venus à leur secours et nous vivions dans une casi-familiarité avec eux, jusqu’au jour où une quarantaine d’anarchistes, connus du parquet et chez lesquels on a perquisitionné à plusieurs reprises, sont venus s’installer à Fressenneville. Le seul tort que nous avons eu ajouta Mr Julien Riquier est d’avoir voulu vivre parmi nos ouvriers, d’avoir fait construire des villas, très ordinaires, qu7ls appellent “Les Châteaux de nos patrons” et dont on s’est servi pour exciter leur jalousie. »
La reconnaissance syndicale est inadmissible pour les patrons du Vimeu, convaincus de leurs rôles de bien faiseurs pour les populations en leurs attribuant travail et logis. Les notables surveillent de près avec l’aide des pouvoirs publics de l’époque toutes les tentatives de regroupement syndical.
Chez Debaurain à Béthencourt les ouvriers syndiqués ont obtenu la gratuité de l’outillage et une augmentation de 1 franc de leur quinzaine, ce premier succès fut vite pris en exemple, restait a faire reconnaître qu’un salarié désigné par ses camarades puissent parler au nom de tous devant le patron tout puissant, toute tentative était réprimandée radicalement, le salarié et sa famille débauchés. L’histoire des grèves de Fressenneville, où l’événement principal fut l’incendie du château des Riquier le mardi 03 avril 1906 témoigne bien de l’exaspération des ouvriers à cette époque :



Le Progrès de la Somme : « Depuis la loi sur les syndicats promulguée en 1884, les ouvriers de la métallurgie de Fressenneville avaient essayé, en 1900, de se syndiquer et de se grouper au syndicat du Vimeu, dont le siège est à Friville. A cette époque, il existait dans cette commune environ 40 adhérents; dès que Messieurs Riquier en eurent connaissance; ils essayèrent d’enrayer le mouvement et une vingtaine d’ouvriers de ceux qui ne voulurent pas se soumettre furent obligés de chercher une place ailleurs. Aujourd’hui, les adhérents sont de plus en plus nombreux. Dans la crainte de briser leur situation, certains d’entre eux faisaient déjà partie du syndicat, mais discrètement Messieurs Riquier redoutaient les ouvriers syndiqués et à la première faute d’un de ceux-ci ou même de la suppression d’un emploi, on signifiait le congé, c’est précisément ce qui a occasionné ce coup de théâtre de mardi dernier. »
L’interview des Riquier donné au Journal d’Amiens en Avril 1906 après l’affaire du château :
« Deux salariés soupçonnés d’être syndiqué sont entendus par les patrons Riquier : « Le samedi 31 mars, nous leur faisions part de notre décision. Le premier s’incline et accepte le nouveau travail offert Le second au contraire, ne nous laisse pas achever notre proposition et au premier mot prend la porte en nous disant sèchement “merci ’. C’était l’occasion cherchée depuis deux mois.
Le dimanche se passe dans le calme le plus complet, le lundi nous apprenons que tous les ouvriers sont convoqués à une réunion qui doit avoir lieu le soir, dans un café pour protester contre le renvoi de l’ouvrier en question qui était “c’est alors seulement que nous l’avons appris” le collecteur pour notre usine du syndicat du Vimeu.
C’était une grève en perspective.
L ‘un de nous Edouard se rend à la sous préfecture d’Abbeville pour demander un service d’ordre. Le sous préfet était absent Son secrétaire répond que les ordres qu’il a reçus ne lui permettent de rien faire tant que la grève n’est pas commencée. Edouard s’adresse au parquet Le procureur de la république lui dit qu’il est fort ennuyé, mais que les gendarmes et les troupes sont retenus à Lens. Cependant il appelle le capitaine de gendarmerie et on décide que le lendemain mardi, les trois gendarmes de Valines, localité située à trois kilomètres de Fressenneville, ne feront pas leur tournée habituelle, mais se tiendront prêts à accourir au premier danger. Ils passeront même à Fressenneville comme en se promenant
Le lundi soir, la réunion a lieu. Le mardi à neuf heures du matin, Julien Riquier, maire de Fressenneville (qui, entre parenthèses, a toujours été élu le premier au conseil municipal par ses propres ouvriers) va renouveler officiellement, et comme maire, à la sous-préfecture, la demande faite la veille par son cousin. Mr le sous préfet d’Abbeville était encore absent Son secrétaire répète que tant qu’il n’y a pas de désordres, il ne peut rien faire.
Pendant ce temps, Edouard va à Fressenneville, il apprend que la réunion a été très violente, les ouvriers en sont revenus en chantant la “Carmagnole” sous les fenêtres des contremaîtres. Un délégué du syndicat doit venir à onze heures voir les patrons. »

Il paraît impensable pour Riquier qu’un délégué du syndicat en plus extérieur à l’entreprise puisse entrer dans la serrurerie, se serait reconnaître le droit syndical, considéré comme un délit.
Le mardi 03 avril 1096, l’usine est très calme poursuit le Journal d’Amiens : « Tout le monde est à son poste. On travaille comme à l’ordinaire. Edouard Riquier travaille dans son bureau. Tout à coup, un homme qu’il n’avait encore jamais vu se présente, sautant à bas d’une bicyclette:
- vous êtes bien Mr Edouard Riquier?
- Oui Monsieur
- /e suis le délégué du syndicat
• -je ne vous connais pas, Monsieur, et je ne veux pas vous connaître. L’inconnu, très poli, salue en disant:
- C’est très bien, Monsieur, je n’insiste pas, et il repart Tout le monde continuait à travailler dans le plus grand calme.
Au moment où les ouvriers sortaient pour aller déjeuner, Edouard Riquier va trouver l’ouvrier licencié dans son magasin et lui dit:
- Nous t’avons conservé dans l’usine jusqu’ici; mais en présence de ce qui se passe, il est préférable que tu t’en ailles tout de suite.
Voici ta quinzaine.
L ‘ouvrier qui jusqu’alors avait été très respectueux, prend une autre attitude et répond:
-je n’en veux pas de votre quinzaine je n’ai pas l’habitude de prendre l’argent que je n’ai pas gagné; mais soyez tranquille je le gagnerai !
Il s’en va tandis que l’usine se vide sans bruit
A la rentrée des ouvriers un petit mouvement se produit
Cent vingt à cent trente ouvriers se présentent ensemble, ayant l’ouvrier licencié à leur tête.
Edouard Riquier les rejoint dans la cour de l’usine et s’adressant à l’employé renvoyé lui dit:
- vous n’avez pas entendu que je vous ai donné l’ordre de sortir
- Des ordres! fait l’autre avec une arrogance qu’il ne dissimule plus, vous n’avez pas d’ordres à donner ici! Ce n’est pas à vous l’usine, c’est aux ouvriers ! il y a assez longtemps que c’est à vous !
Et il s’avance menaçant en ajoutant:
- Essayez donc un peu pour voir de me jeter dehors!
Son attitude était visiblement et volontairement provocatrice pour amener un acte de violence de la part du patron.
Alors Edouard Riquier gardant tout son sang froid, élève la voix et s’adresse aux ouvriers maintenant plus nombreux, massés dans la cour: -
- Mes amis, leur dit-il, voici une chose inouïe ! Il est impossible que vous soyez contre nous. On cherche à vous exciter, ne vous laissez pas faire. Et le patron de leur faire remarquer que leurs salaires ont augmenté depuis quinze ans, en même temps que leurs frais d’outillage ont diminué.
Nous avons, en effet, dépensé beaucoup d’argent pour perfectionner l’outillage, le polissage mécanique diminue et les frais et la peine des ouvriers.
- Que les jeunes gens demandent aux anciens, s’écrie Edouard, ce que leur coûtaient autrefois les limes, et s’ils n’avaient pas le samedi une fatigue physique beaucoup plus grande ! Aujourd’hui, il n’y a pas dans toute la région une usine qui paie plus cher le travail que la nôtre.
Qui d’entre-vous me démentira ?
Pendant près d’un quart d’heure, Edouard parle sur ce ton. Les ouvriers ne disent rien. Pas un murmure ne s’élève, pas une réclamation, pas une protestation. Tous rentrent dans leurs ateliers. Seul l’ouvrier licencié reste dans la cour. Quelques ouvriers sortent des ateliers, puis d’autres. Dans la rue, attend le groupe des anarchistes, étrangers à l’usine, qui voyant sortir les premiers ouvriers, se mettent à pousser des clameurs sauvages. Dans l’usine il reste à peine une centaine de travailleurs.
La colonne des grévistes est partie en chantant vers le village. Une demie heure plus tard, elle revient précédée d’un drapeau rouge que porte une fillette, à côté de laquelle marche l’ouvrier licencié. Un cafetier anarchiste fait le serre file et maintient tout le monde dans les rangs. La bande contourne l’usine et fait pleuvoir des pierres et des briques dans les vitres du bâtiment de la machine à vapeur, qui marche toujours. Edouard donne l’ordre qu’on arrête la machine. Les pierres cessent aussitôt de pleuvoir, Il fait sortir ceux des ouvriers restés dans l’atelier et ferme les portes de l’usine.
Julien Riquier téléphonait une première fois à la sous-préfecture d’Abbeville pour signaler que de graves désordres commençaient.
Le sous-préfet est toujours absent Le secrétaire répond avec placidité:
“C’est fort bien, envoyez moi une réquisition par télégramme officiel”. II ne pouvait, dit’il se contenter d’un avertissement par téléphone.
Il faut rédiger une dépêche officielle, y faire apposer le cachet de la mairie, la porter au bureau de poste.
Que de temps perdu !..
Julien va rédiger son télégramme et quand il revient dix minutes après dans le pavillon de concierge, il trouve les carreaux brisés etc..,Il retourne au téléphone pour aviser le secrétaire du sous-préfet que les évènements s’aggravent. Alors il obtient de la sous-préfecture cette réponse sereine:
- Ont-ils bien déclaré la grève f...
Les évènements se précipitent. Mr Julien monte en automobile et se rend à Abbeville pour réclamer du secours. Le secrétaire du sous-préfet répond avec placidité qu’il n’a pas de cavaliers disponibles. Il offre d’envoyer quelques soldats par le train de 7heures. Mr Riquier réplique qu’il en faut au moins 250. Messieurs Riquier ajoutent: Faut-il maintenant raconter ce qui s’est passé pendant notre absence et que des témoins en qui nous pouvons avoir confiance nous ont rapporté? C’est comme un cauchemar qui nous étreint douloureusement et nous fait horreur.
La bande avait pénétré dans la propriété de Julien, une simple maison de campagne qu’on appelle là-bas un château. Une vingtaine de grévistes seulement pénétrèrent dans la maison, dont-ils ont forcé les portes. Les autres restés dans la rue criaient:
- Non sortez, c’est assez ! C’est assez !
Trois pièces du rez de chaussée sont mises à sac. Le portrait du père de Julien est arraché de son cadre On lui plante un couteau dans la gorge. D’autres portraits sont lacérés.
Mais le malheur a voulu que les premiers arrivés pénétrèrent tout de suite dans la cave défoncer les tonneaux de cidre et de vin, passer à boire aux femmes et aux hommes. Ce fut l’affaire de quelques minutes.
La bande avinée court chez Edouard et alors, sous l’influence de la boisson, on saccage tout il y a des détails affreux : d’une fenêtre on avait montré les portraits de nos enfants, on leur avait crevé les yeux, puis coupé la tête aux applaudissements de la horde hurlante.
La plume de la presse bourgeoise relatant cette histoire sous forme du récit vécu par la victime elle-même paraît naturel car à cette époque pas question de contredire ce qui est considéré comme une vérité établie, Riquier est aussi le maire du village et sa notoriété ne peu être remise en cause. Les événements du château sont traités comme une émeute de la plus grande importance, ont parle d’acte terroriste et de soulèvement anarchiste presque de guerre civile. C’est une affaire criminelle !
Le Progrès de la Somme du 5 avril 1906 :
« Une grève de 270 ouvriers serruriers et fondeurs en cuivre à l’usine de Messieurs Julien et Edouard Riquier s’est déclarée mardi 3 avril à 2H et demi du soir.
Tout d’abord ce fut la maison de Monsieur Julien Riquier, située en face de l’usine qui subit les premiers dégâts. Les grévistes lancèrent des pierres de tous les côtés, se frayant un passage dans toutes les pièces du rez de chaussée. En un instant, tout fut saccagé avec un acharnement inouï: la presque totalité du mobilier fut sorti des appartements; quatre barriques de 228 litres de vin furent enfoncées.
Grâce cependant à l’énergie de la petite brigade de Valines, le premier étage fut préservé.
A leur sortie, les manifestants se ruèrent sur la maison du concierge et en un clin d’oeil toutes les vitres volèrent en éclats et la maison fut envahie.
De là, la bande alla attaquer la maison particulière de Mr Edouard Riquier, située sur la route de Feuquières et qui fut saccagée également en quelques instants.
Continuant leurs déprédations, les manifestants se ruèrent sur les maisons particulières des principaux employés de l’usine (directeurs et ouvriers non syndiqués).
Le calme se rétablit ensuite pendant une heure. Après s’être à nouveau rassemblés, les grévistes recommencèrent à manifester violemment, allant de l’habitation de Mr Julien Riquier à celle de Mr Edouard Riquier, chantant et criant
Pendant que la brigade de Valines et celle de Gamaches essayaient de refouler les manifestants qui recommençaient l’assaut de la maison de Mr Riquier Julien et celle du directeur, la bande de grévistes se replia vers la maison d’habitation de Mr Edouard Riquier.

samedi 3 février 2007

De Bricard à Ingersoll-Rand


La dynastie de Sterlin à Bricard
La dynastie Bricard fera le label de la serrure dans le Vimeu. L’épopée économique et commerciale de la serrurerie du Vimeu commence avec Louis-Charles Sterlin fin 1780 installé à Paris rue Tiquetonne, près du théâtre de Bourgogne qui attire le tout Paris, en choisissant ce quartier très animé et en proclamant la qualité des serrures et des ferrures qu’il reçoit du Vimeu, Sterlin fait preuve d’un bon sens commercial, Il connaît bien la valeur artisanale de cette région Picarde qui deviendra très vite le centre de la serrure en France.
Les Ouvriers-Paysans du Vimeu, Sterlin les connaît fort bien et apprécie leur travail. Il a chargé son commissionnaire, Gauthier, installé à Woincourt, de répartir les commandes entre les familles de la région. La production est acheminée vers Paris par les mareyeurs qui transportent le poisson pêché au Tréport et par le carrosse royal de EU à qui l’on confie les caisses de serrures, de clés et de ferronneries.
Les méthodes évoluant, Sterlin, dont le commerce est prospère, comprend que des machines peuvent accélérer la production. En 1821, il achète à Woincourt une petite manufacture de cylindres de filatures. Il en confie la direction à son commissionnaire, Gauthier. Les clés seront ébauchées au marteau-pilon; les artisans peuvent alors les fignoler plus à loisir.
Sterlin entend protéger ses serrures : elles portent désormais, gravées, les deux premières lettres de son nom, «ST». Utilisant judicieusement l’outillage de son usine, il adopte des fabrications, réservées jusqu’ici aux Ardennes : les paumelles et les espagnolettes Il perfectionne aussi la serrure et dépose en 1825 son premier brevet: c’est une serrure à un tour et demi et un seul ressort.
En 1829, un autre brevet, signé Sterlin, fera franchir à la serrurerie une étape importante. Il concerne la serrure à deux pênes à foliot à bras égaux, avec entrée au centre de la serrure; les pênes indépendants sont superposés. Cette serrure remplacera vite les serrures des portes intérieures et tous les systèmes utilisés jusqu’alors. Ces dispositifs restent en usage aujourd’hui et demeurent la base des fabrications.
La marque «ST» tient ce qu’elle promettait. Sterlin bien installé s’enrichi très vite, Eugène Bricard apprenti serrurier chez Sterlin gravi les échelons de la hiérarchie pour devenir à la mort de Sterlin en 1834 gérant de la marque au deux lettres « ST ». Les héritiers de Sterlin vendent la fabrique de Woincourt à leur commissionnaire Gautier, Eugène Bricard se marie en 1835 avec la fille Allez, grand quincaillier de l’époque, il achète le magasin de la rue Tiquetonne et s’associe avec Gauthier et se réserve la production de serrure dans l’usine de Woincourt.
La serrure est perfectionnée mais Bricard s’intéresse aussi à toutes les ferrures et fermetures destinées à l’ornement des maisons, il fait breveté la pivot à hélice et l’espagnolette à poignée verticale. Devenu industriel chevronné entrant dans l’ère du machinisme moderne, il remplace en 1852 le rustique manège à chevaux qui actionnait les tours et machines à découper, la première machine à vapeur est installés dans le Vimeu à l’usine de Woincourt.
Eugène Bricard s’entoure de ses deux fils, Alfred et Jules, la marque « ST » est devenue incontournable pour tout ce qui concerne les fermetures de portes et l’ornement, Eugène entreprend de réunir toutes les pièces de serrureries, anciennes et créations nouvelles, et s’intéresse à la serrurerie décorative qu’il fait exécuter par quelques artistes bronziers qui seront les maîtres d’apprentissages des mains d’or travaillant dans l’usine de Woincourt, certains ouvriers ne sont plus simplement mécaniciens ou ajusteurs mais deviennent sans en avoir ni reconnaissance ni élévation sociale de véritables sculpteurs , graveurs, ciseleurs de grand talent. Bricard réunira une collection de serrures qui est de loin la plus belle du monde que l’on peu découvrir au Musée de la Serrure à l’ Hôtel Bruant à Paris.
En 1868, les locaux de la rue Tiquetonne devenu trop petit, la famille Bricard achète l’Hôtel de Bezons ou sera installé le siège de la Société jusque nos jours. En 1877 l’association avec Gauthier se rompt et les Bricard deviennent les seuls exploitants de l’usine de Woincourt, Eugène Bricard meurt en 1883, les Frères Bricard entreprennent alors de regrouper au sein de l’usine de Woincourt toutes les productions de pièces détachées que les Ouvriers-Paysans du Vimeu réalisent toujours chez eux, l’usinage mécanique doit être poussé à fond et en 1889 une fonderie avec cubilot est installée à Woincourt. Avec les pièces fondues les articles se multiplient et se diversifient, l’arrivée du chemin de fer est une aubaine, Bricard oriente une partie de son activité vers ce nouveau marché.
Parallèlement, il lance une nouvelle serrure à passe-partout dont la clé maîtresse permet d’ouvrir toutes les portes d’une installation, chaque serrure étant cependant pourvue d’une clé particulière.
A l’Exposition Universelle de 1900, les stands Bricard sont remarqués. En 1909, une association se noue entre Jules Bricard et son neveu Gaston, fils d’Alfred. A l’usine de Woincourt le problème de fixation du personnel formé aux créations Bricard se pose, le développement d’autres usines dans le Vimeu tant à faire fuir une mains d’œuvre au service de la famille Bricard mal payé mais investi de connaissances que d’autres patrons du Vimeu essaient de s’approprier, la création de maisons ouvrières à Woincourt sera un moyen de lutter contre cette crise de la main-d’oeuvre pour que les meilleurs ouvriers restent fidèles à Bricard. Le secteur industriel progresse toujours; en 1912, l’équipement industriel moderne et les méthodes du travail à la chaîne augmentent sensiblement le potentiel de production.
Quand la guerre survient, Jules Bricard sort de sa retraite pour reprendre la direction de la Maison. Les fabrications traditionnelles sont réduites, la vie des magasins parisiens est ralentie. Les usines sont associées à la défense, et leur outillage de précision assure la meilleure qualité à la production des matériels réclamés par l’armée: gaines de fusées d’obus, grenades, obus V.B., entre autres.

Avec la paix, l’activité renaît et le progrès accélère encore les méthodes de fabrication. Avec la reconstruction du pays le marché est au sommet de la prospérité, les Bricard vont étendre leur production dans les serrures bas de gammes, Gaston et Roger Bricard s’engagent dans la production ultra industrialisée mettant en place des moyens de production et des concepts de travail basés sur l’exploitation intense des ouvriers, par le travail à la chaîne, l’entrée des femmes dans les usines. La fabrication de types de serrures à des prix avantageux et de qualité prennent très vite une bonne place sur le marché, ces articles portent le sigle « ST » comme marque de prestige. La firme des frères Bricard entre ainsi dans une période d’expansion qui placera la marque Bricard au premier rang, les plus grandes et les plus modestes demeures porteront la signature Bricard; on la trouvera sur des navires, des avions, des trains, des complexes énergétiques, des usines, etc.
En 1930, la construction commence à s’adapter à la poussée démographique. Les premières H.B.M. sortent du sol; de grands bâtiments en brique rouge s’élèvent autour de Paris. De nouveaux débouchés sont offerts, notamment dans la quincaillerie de bâtiment et la robinetterie. Des accords avec d’autres fabricants sont passés pour répondre aux demandes, Bricard est ainsi en mesure de fournir la totalité des articles réclamés pour des besoins massifs. Le Vimeu industriel s’étend et se diversifie avec d’autres productions toutes liées entre elles.
De 1935 à 1939, la fabrication de robinetterie sanitaire se développe à Woincourt, d’autres fonderies se créent, Guareski, Caron-Lénel, St Germain, la robinetterie trouve une expansion sans cesse croissante. La guerre interrompt cette progression, les usines sont réquisitionnées et fabrique de l’armement, Bricard démontera le matériel de production de serrures et l’acheminera vers la zone libre, les machines seront réinstallées en 1940 à Woincourt, les difficultés d’approvisionnement et l’utilisation pour l’armement du cuivre et laitons pousseront la mise au point des matériaux de remplacement en alliages divers, les premières fabrications en zamak voient le jour.
Après la Guerre, dès 1944 le dynamisme de l’industrie vimeusienne reprend, la reconstruction du pays est une opportunité et les besoins sont considérables. Les industriels distribuent largement le travail en payant peu les salariés mais en utilisant beaucoup de mains d’oeuvres, ce qui permet à l’ensemble de la communauté vimeusienne d’avoir un emploi, sous payé mais devenu vital en cette période. Le paysage usinier du Vimeu se développe de façon impressionnante.
Pour revenir à Bricard, cette période de guerre fut pour ses dirigeants et cadres, une période de réflexion utile qui aboutit dès1944 à un programme de redémarrage rapide, les stocks sont épuisés, les fabrications ne correspondent plus aux besoins nouveaux, Bricard modifie l’outillage et se lance dans de grandes séries, il rachète l’usine d’Escarbotin qui aura vocation de fabriquer les serrures tandis que Woincourt est spécialisée en fonderie et fabrique la robinetterie.
Dans le domaine commercial il convient d’informer la clientèle, en 1948 un premier album est diffusé avec la description de chaque article. Le premier catalogue complet de la serrurerie et quincaillerie de bâtiment sera édité en 1955 en direction des architectes et entrepreneurs qui l’adoptent immédiatement comme instrument de référence. Bricard va installer des agences commerciales au-delà de Paris, la première en 1956 à Lyon puis aux quatre points de l’hexagone. Deux agences seront également ouvertes en 1957 à Dakar et Abidjan. Une usine à Frévent est construite en 1959. Gaston Bricard meurt en 1962 laissant à Alfred la direction des affaires qui connaissent une progression constante plus de 50 tonnes de produits sont ainsi acheminés chaque jour des usines du Vimeu vers les agences. Dès lors, le travail est bien réparti entre des secteurs spécialisés.
A Woincourt sont traités les métaux non ferreux, grâce, en particulier, à une fonderie de laiton; la production est orientée vers la robinetterie et la cuivrerie. L’usine d’Escarbotin travaille les métaux ferreux. A partir de feuillard en rouleaux, de puissantes presses ultramodernes réalisent les opérations de découpe et d’emboutissage. Parallèlement, d’autres ateliers fabriquent de multiples pièces détachées ou parachèvent les opérations commencées par les presses. L’usine Riquier à Fressenneville est rachetée et sert d’annexe à celle d’Escarbotin. L’ensemble aboutit à d’importantes chaînes de montage axées sur la serrure
Les installations de Frevent sont spécialisées dans la fonderie: on y coule la fonte, l’aluminium et le zamak
.Un matériel de polissage automatique des plus modernes prépare les pièces à leur décor définitif, nickelage-chromage en particulier.

Ce complexe industriel assure la production nécessaire sur cinq départements :
- Serrurerie décorative
- Serrurerie et quincaillerie de bâtiment
-. Serrures à combinaisons et passe-partout
- Robinetterie eau et sanitaire
- Ferrures frigorifiques.
Bricard va définitivement arrêter ses fabrications du secteur sanitaire lors de la crise de la robinetterie des années 80 et fermera son usine de Woincourt se positionnant uniquement dans la serrurerie, cédant la majorité des parts de l’entreprise au groupe Italien CISA. La fabrication est concentrée sur les usines de Friville-Escarbotin et Fressenneville. L’entreprise familiale disparaît et le groupe est contrôlé par les capitaux étrangers, en 2000 Bricard profite de l’opportunité offerte par le SIVOM et le Conseil Régional pour s’installer sur la Zone Industrielle des 3F dans des bâtiments flambants neufs. Bricard, symbole du Vimeu est maintenant convoité par le grand capital qui tire les profits de nos produits, SICA vend en 2004 Bricard au groupe américain INGERSOLL-RAND qui a pour unique objectif que de conquérir le marché européen en s’emparant de la Marque et Bricard devient une vitrine de négoces, l’usine du Vimeu produit de moins en moins et les fabrications sont composées de pièces d’importations : 30% des produits incorporés proviennent de Chine, 40% du groupe CISA.
Que deviendra l’unité de production vimeusienne quand le groupe américain aura conquis le marché européen ?
L’épopée de la famille Bricard symbolise bien la vie industrielle du Vimeu au travers ces années de conquêtes économiques et de développement technologique.