samedi 13 janvier 2007

L'Ouvrier-Paysan (suite)



Ouvriers-Paysans du Vimeu

Après la ruine de l’industrie textile suite aux guerres de religion, apparaît dans le Vimeu, sous l’influence des Espagnols le premier serrurier escarbotinois en 1602, le travail du fer dans le Vimeu prend donc naissance avec la serrurerie et remonte à un passé lointain. L’origine de la serrurerie dans le Vimeu est très controversée, la coutume veut qu’en 1636, un Allemand du nom de Jacques Maquennehen, horloger de son état est le premier a faire fabriquer la serrure à Escarbotin, la manufacture Maquennehen-Imbert construite au centre ville deviendra Bricard au XIV siècle, avec les familles Riquier et Deny les premières concentrations industrielles naîtront sous forme d’usines car depuis l’origine, les serrureries du Vimeu sont des artisans besognant dans l’îlot familiale, vivant de la terre et du fer.
Les archives montrent qu’il y avait déjà un Maquennehen en Vimeu dès 1572, dès cette époque, de nombreux registres paroissiaux font états de plusieurs noms de maîtres serruriers dont Bouté en 1601 à Friville, Grandsire en 1669 à Chepy , Bailleul en 1689 à Franleu.
Cette main-d’œuvre paysanne habile travaillant dans la serrure tous en cultivant la terre vie autour de Friville et progressivement cette activité va s’étendre avec plus d’ampleur, se diversifiant dans plusieurs activités de petite métallurgie, peu à peu ces ouvriers-paysants vont transformer les métaux, les premières fonderies de métal léger vont naître et cette main-d’œuvre appropriée va se développer.
Cette présence de savoir faire autodidacte va attirer quelques négociants parisiens appréciant l’habileté et le peu d’exigence de ces paysans- ouvriers qui vivaient pratiquement en autoconsommation.
La matière première du Vimeu est donc la main habile de son paysan devenue experte en serrurerie.
Ne faut-il pas au XVllle siècle au moins cinq ans d’apprentissage pour être capable de fabriquer un cadenas ?
C’est donc cette habileté que les négociants parisiens vont s’accaparer. Ceux-ci avec charrettes et chevaux assurent la vente des produits des Ouvriers-Paysans du Vimeu sur un marché du second oeuvre du bâtiment en plein développement. C’est le négoce parisien qui peu à peu pousse le Vimeu à se spécialiser.
La Bresle joue un rôle géographique essentiel, son orientation vers le Sud-est, rapprochant la capitale de ce pays occidental de la Picardie
Ainsi, à la veille de la Révolution en 1783, une partie des échanges avec Paris se fait par l’intermédiaire du carrosse de la ville d’Eu.

Un, vérificateur en serrurerie, écrit en 1783 « Les serruriers du Vimeu ne savent point faire grâce à personne car tous les quinze jours, à réception de leurs ouvrages, à peine a-t-on le temps de faire leurs comptes, de leur écrire des lettres pour de nouvelles commandes ou sujétions, ou des explications sur différents défauts à corriger à leurs ouvrages qu’i il faut songer à porter l’argent à Monsieur Joly, Directeur du carrosse de la Ville d’Eu, lequel est chargé de leur faire la distribution chez eux la semaine suivante».
Aucun Seigneur de la terre.
Depuis le Moyen-âge, le Vimeu a toujours été en marge de grands propriétaires fonciers et aucun Seigneur ne s’y est taillé une enclave. L’aristocratie n’existe qu’a petite échelle comme en témoigne les superficies modestes des propriétés. Pour exemple, le Seigneur de Belloy possédait environ une soixantaine d’hectares à la veille de la révolution, la seigneurie de Feuquières n’était guère plus vaste. La plus vaste est éloignée du Vimeu profond est celle de Rambures. Plusieurs Abbayes contrôlaient les terres du Vimeu, celle de Saint-Riquier possédait Feuquières et cultivait le lin en y exploitant quelques tisserands, Friville dépendait de celle de Sery et l’abbaye du Lieu-Dieu contrôlait la vallée de la Bresle. Après la Révolution la bourgeoisie abbevilloise n’a guère investi dans le Vimeu se contentant de prendre quelques terres en vallée de Somme et dans le Vimeu vert
La présence de l’aristocratie implantée en la Ville d’Eu, notamment avec la présence royale de Louis-Philippe au XVIII siècle n’a pas eu une incidence majeure sur la domination du Vimeu, il semble même que la bourgeoisie présente en Vallée de Bresle a profité de l’essor artisanal et spécifique du Vimeu pour a moindre coût construire et équiper la cité royale, le Château d’Eu possède des cuisines et le chauffage équipées au gaz, ce qui est unique pour l’époque. Des fonderies de métaux non ferreux sont construites à EU et se spécialisent dans la robinetterie, Banines, familles Margot et Baron.
Ces observations montrent à quel point le pays du Vimeu a pu garder une certaine autonomie, n’étant sous la coupe d’aucun grand seigneur de la terre. C’est ainsi que s’est mise en place une véritable démocratie terrienne fonctionnant en vase clos avec le privilège de l’indépendance, mais la contrainte de la petitesse.
Sur sa petite propriété, le paysan du Vimeu s’est lancé dans l’artisanat, la Culture et la mentalité vimeusienne est imprégnée de cet état d’esprit d’indépendance matérielle, indépendance d’esprit, attachement à la terre et volonté de s’en sortir par un labeur acharné.

Bonnot écrivait en 1783 :
« Le paysan du Vimeu, à la fois serrurier et agriculteur, travaillant chez lui avec les membres de sa famille et quelques compagnons. Il fournissait ses clients plutôt pour son compte que par l’intermédiaire d’un gros patron et il délaissait son étau pour surveiller sa basse-cour ou ensemencer ses champs»
Cette mentalité particulière, fera pendant très longtemps apparaître le Vimeu comme une région à part en Picardie. Cet attachement connu au travail individuel sans contrainte, et à une terre morcelée à l’infini permettant à tous les descendants d’une même famille de travailler chez soi, dans sa propre «boutique»
Ce constat a conduit l’Ouvrier-paysan du Vimeu à une mentalité individualiste voire anarchiste.
L’absence d’esprit communautaire marque le paysage «urbain » et rural du Vimeu. Juxtaposition des maisons, anciennes fermes devenue «boutiques», anciennes boutiques devenues maison d’habitation, aucun souci de la vie collective avec, quand on le peut, empiètement de la maison sur le trottoir qui s’efface alors, droits de passage compliqués, voire impraticable, gain des vergers, jardins et labours sur les chemins .
Les petites propriétés individuelles se sont multipliées autour de Friville , Escarbotin, Belloy , Feuquières et Fressenneville témoins aujourd’hui encore de la forte densité de villages et hameaux qui forment le Vimeu.
Le Vimeu a-t-il hérité dans sa Culture des conditions de sa naissance ?
Jusqu’au début du siècle dernier avant que le patronat vimeusien ne se structure, la vie en Vimeu était rythmée autour de ce mode de production où aucune hiérarchie des pouvoirs n’était véritablement établie.
Dans une publication « Hachette » de 1880, Bibliothèque des Ecoles et des Familles une Boutique du Vimeu nous est décrite :
« Le bruit strident du marteau et le grincement des limes nous dirigent et nous arrivons devant un atelier de serruriers (boutiques). Inutile d’entrée car tout se vit de dehors. Une ouverture qui tient toute la largeur de la maison et qui n’a de vitres que pendant l’hiver, nous laisse juger de cet intérieur. Le long établi court derrière la fenêtre : trois hommes et deux jeunes femmes sont installés devant les étaux et manient avec courage la lime et le marteau. C’est le père, les deux fils et leurs femmes. Chacun d’eux est chargé d’un travail spécial. Toutes les pièces qui constituent la serrure sont étalées sur l’établi : elles sont prises successivement, limées, rivées, ajustées ».
En 1776, il existe 46 ateliers de serruriers à Feuquières, un rapport au Conseil d’arrondissement de 1867 fixe le nombre d’employé en serrurerie à 3230.
Le développement des besoins commerciaux de la serrure et les mutations agricoles vont au XVIII siècle conduire le Paysan ouvrier du Vimeu à devenir Ouvrier-paysan travaillant en famille et parfois à se faire aider par quelques compagnons venus essentiellement de l’artisanat textile dominant encore le Vimeu vert .
Autre exemple marquant l’identité de l’Ouvrier-paysan du Vimeu, la moindre tension sur les prix agricoles provoque chez eux misère et difficulté. Ainsi, suivant un témoignage recueilli en 1910 à Feuquières, une légère augmentation du prix du lait a déclanché une grève du lait, les usiniers refusant d’acheter ce produit de première nécessité. Des manifestations éclatent contre les agriculteurs et la cavalerie est envoyée.
L’élargissement du tissu industriel et le développement économique lié à l’industrialisation créés au XIX siècle des problèmes dans l’artisanat du Vimeu, tant le corporaliser et l’individualiste sont ancrés dans les mentalités des patrons usiniers.
L’exemple de la création en 1888 d’une école pratique d’industrie à Escarbotin puis sa disparition en 1895 est significative. Dans un rapport au Sous-préfet d’Abbeville parlant des difficultés de recrutement dans cette école ont peu lire :
« Si cette école, malgré les grands services qu’elle pourrait rendre è la région industrielle du Vimeu végète et ne compte qu’un nombre d’élèves insuffisant, qui tend même chaque année à diminuer, la responsabilité de cet état de choses ne saurait être imputé au Directeur mais aux préventions qui règnent dans le pays contre l’Ecole et à l’hostilité de la majorité des industriels du Vimeu qui craignent de voit former dans cet établissement des ouvriers et des contremaîtres qui pourraient leur créer plus tard des concurrences en se mettant à leur compte. »
C’est d’ailleurs ce qu’affirmait publiquement, dans le journal royaliste I’.Abbevillois» du 4 octobre 1888,
Ouverture de l’école de serrurerie :
« Cette école professionnelle. a été accueillie avec une certaine froideur par la plupart des industriels du Vimeu... qui voient, non sans raison, dans cette école une pépinière qui ne servira qu’à initier aux secrets de leur fabrication des artisans, lesquels front porter ailleurs la spécialité qui fait aujourd’hui la vitalité de notre pays serrurier».


Ce sont les petits manufacturiers qui fabriquent encore dans des cadres sensiblement traditionnels mais qui ont tendance à ne plus assurer l’apprentissage de leurs ouvriers, qui oeuvrent contre l’école de serrurerie dans la crainte de voir se multiplier les concurrents.
A travers cet exemple, nous percevons la crainte d’une déstabilisation du système de production artisanale de la part des petits producteurs devant faire face à la concentration industrielle provoquée par le développement des techniques de fonderie et d’une production de masse.
Malgré ce processus qui s’amorce, les inventions techniques ingénieuses se multiplient en Vimeu et se traduisent par l’établissement de nombreux brevets comme celui de Fournier, serrurier à Dargnies en 1855.
L’artisan du Vimeu profite de ses contacts épisodiques ou réguliers avec les donneurs d’ordre, quincaillier parisien, pour s’ingénier à trouver des solutions techniques pour la conception des objets qu’il fabrique.
L’indépendance d’esprit et le génie inventif du compagnon, de l’ouvrier ou de l’agent de maîtrise le conduit à découvrir des méthodes de fabrication ou des serrures nouvelles qui lui permettent de tenter l’aventure de mise à son compte. Il lui arrive alors de concurrencer son ancien patron.
Ce processus reste limité car l’arrivée de plusieurs industriels pour s’accaparer le savoir-faire du Vimeu va fondamentalement modifier les rapports de production allant jusque faire pratiquement disparaître l’artisanat où plus exactement le concept de l’Ouvrier-paysan, seul quelques boutiques resteront jusque le milieu des années 1970 avec l’existence de polisseurs et d’ouvriers à domicile.

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