samedi 24 février 2007

Le Château Brûlé: La grève




A ce moment, il était exactement 8 heures, un incendie se déclarait dans la maison de Mr Edouard Riquier. Les habitants accoururent au secours. Les pompiers des communes voisines arrivèrent sur les lieux du sinistre presque aussitôt. Mais l’affluence des grévistes empêche les secours. On entend des cris: “Laissez brûler I”
Les tuyaux des pompes à incendie sont crevés.
Quelques meubles que des habitants ont sauvés sont jetés par les grévistes dans la mare sise en face de la maison incendiée.
L ‘incendie a débuté dans une des pièces se trouvant derrière l’immeuble.
De l’enquête à laquelle s’est livré le parquet, il paraîtrait résulter qu’un bidon de pétrole aurait été déposé dans le lit de Mr Edouard Riquier et que c’est en cet endroit que le feu a pris naissance.
Par arrêté préfectoral, les attroupements sont interdits et la fermeture des débits et cafés est fixée à 8 heures du soir.
Renforts de troupes : jeudi matin à 4 heures ont débarqués à Feuquières un escadron du 2ème hussards de Senlis, un demi escadron du 3ème chasseurs à cheval, trois compagnies du 72ème d’infanterie venant d’Amiens et d’Abbeville. Ces dernières troupes seront dirigées sur Escarbotin.
Dans la journée, deux escadrons du 15ème régiment de chasseurs à cheval venant du camp de Châlons sont arrivés à Woincourt.


Vers le soir deux nouveaux escadrons du 6ème régiment de cuirassiers, débarquaient à Feu quières, venant en droite ligne également du camp de Châlons.
Le château incendié de Mr Edouard Riquier venait d’être magnifiquement restauré et les travaux étaient à peine achevés lors de la grève. Les dégâts causés, dans la Commune de Fressenneville par les manifestants, s’élèveraient à 500.000 francs. Ajoutons qu’il n’est nullement prouvé que l’incendie ait été volontairement provoqué. Il est possible qu’if ait éclaté à la suite de l’invasion et du saccage, mais rien ne montre qu’il soit le fait voulu des assaillants. »
Le Syndicat du Fer local, pour une première fois jouera un rôle de coordinateur et organisera la solidarité, ce qui lui permettra pour une première fois de recevoir une légitimité et d’être reconnu comme organisation syndicale. Le 7 avril 1906, une manifestation était organisée à Fressenneville. De partout les curieux sont accourus. Les trains venant d’Amiens et Abbeville, comme ceux de la direction du Tréport et Eu, ont amené une foule considérable malgré la présence de l’armée qui fut par la population accueillie aux cries de « Vive l’armée » et sans hostilité, Fressenneville avait l’aspect d’un village occupé. Les cavaliers continuent de promener les chevaux. Quant aux fantassins cantonnés à l’usine Riquier, ils ont organisé dans la cour un concert qui arrête les passants devant les grilles.
A 4 heures, les grévistes se sont réunis à l’hôtel du Papillon d’Or. Le Syndicat du fer organisait la manifestation, le cortège se forme et se met en route dans la direction de Feuquières.
- En tête deux cyclistes dont l’un accompagne ses coups de pédale du chant de la carmagnole Fressennevilloise,.Derrière les cyclistes vient un groupe de femmes, l’une d’elles portant le drapeau rouge frangé d’or du Syndicat du \/imeu Un millier d’hommes environ, des jeunes, des vieux, des petits, des grands, des gros, des maigres, suivent chantant la carmagnole avec un accent in traductible


Ah l ça iRRRRRRRA, ça iRRRRRRRA : Les ouvriers ont composé eux-mêmes une carmagnole :


La carmagnole de Fressenneville


Nous avons droit au syndicat (bis)
Les Riquier ne l’empêch’ront pas (bis)
Et malgré les commis (noms des commis)
Nous déclarons la grève
Vive le son (bis)
Nous resterons tous solidaires (bis)
Allons amis, soyons tous frères (bis)
Car c’est le seul moyen
De ne plus crever d’faim
Revendiquons nos droits
Vive le son (bis)
Ils ont chassé un ouvrier (bis)
Nous voulons le réintégrer (bis)
Et s’ils ne marchent pas
Nous les mettrons au pas
Par l’action directe
Vive le son (bis)
Nous n’avons pas peur des soldats (bis)
La crosse en l’air, gibernes bas (bis)
Ne s’ront pas fusilleurs,
Esclaves des exploiteurs
Ils tourneront leurs armes Vive le son (Bis)


Arrivés à la briqueterie qui sépare Fressenneville de Feuquières, les manifestants font demi-tour et vont chanter devant l’usine et le château de Mr Julien Riquier. Après quoi une nouvelle réunion, au cours de laquelle on a beaucoup péroré et encore plus conspué les patrons, a été tenue à l’hôtel Papillon Blanc.
Les gendarmes et les hussards qui suivaient la colonne des manifestants n’ont pas eu à intervenir. Dans la journée, des quêtes ont été faites dans la commune au profit des grévistes.
La grève fut sévèrement réprimée, un déploiement de troupe a campé à Fressenneville et sa région pendant plus de deux mois afin de contrôler qu’il n’ y ait pas de débordement et surtout que la grève ne fasse pas d’émule ailleurs, La troupe quitta Fressenneville le 20 août 1906
Dix-huit arrestations: (Fressenneville, le 11 avril 1906) Le journal d’Amiens :
« La laborieuse (ô combien) mais patiente enquête du parquet d’Abbeville vient d’aboutir. Ce matin, les gendarmes ont opéré l’arrestation de 14 individus compromis dans les graves évènements dont Fressenneville a été le théâtre la semaine dernière.
Accompagnés de gendarmes à pied et encadrés de hussards, ils ont été conduits à la gare de Feuquières- Fressenneville. Ces arrestations étaient attendues, aussi la population ne s’en montre aucunement étonnée, quant aux inculpés, ils n’ont pas fait la moindre résistance.
Sur le passage du cortège les habitants se mettaient sur le pas de leurs portes, mais aucun cri n’a été poussé.
La gare était gardée militairement.
Prisonniers et gendarmes ont pris place dans des wagons réservés du train quittant Feuquières à 9 H 59.
A Abbeville, la gare était également gardée par la troupe.
Les inculpés y sont arrivés à 10H40 et accueillis par quelques cris hostiles Ils sont montés dans deux omnibus réquisitionnés pour la circonstance et, encadrés de gendarmes à cheval, conduits et incarcérés à la prison, qui a repris son aspect de la période jacobiste.
Quatre autres individus ont été arrêtés au commencement de l’après-midi. Ils sont allés rejoindre à la prison leur quatorze compagnons arrêtés ce matin.
Il n’y aurait pas d’équité ni d’objectivité a laisser l’Histoire se raconter sur ces uniques récits, peu de choses ont été écrites, les femmes et les hommes acteurs des faits sont restés dans l’anonymat, filles et fils des grévistes de chez Riquier « chez metteux d’feu » racontent l’événement comme un acte glorieux, fiers que leurs grands parents aient participé à cet épisode de l’histoire locale.
L’édition picarde du journal de Jaurès et quelques écrits restés au Musée social d’Abbeville nous donnes une version des faits plus proche de la réalité de ce qu’ont vécu les acteurs de l’époque :
GERMINAL, journal du peuple hebdomadaire - du 7 au 13 avril 1906.
Il y a trois mois, les ouvriers serruriers de Fressenneville, longtemps réfracta ires, par crainte de leurs seigneurs et maîtres, à l’idée syndicale, se sont décidés tout d’un coup, en prévision du 1er mai, à adhérer au nombre de 300, au syndicat du fer du Vimeu, dont le siège est à Escarbotin. Ces adhésions avaient été tenues secrètes par crainte des représailles patronales. Les Riquier étant les maîtres absolus du pays par le travail qu’ils procurent et les maisons qu’ils louent à leurs ouvriers. Contrairement à ce qu’a déclaré Julien Riquier, les ouvriers sont loin d’être “bien payés et traités paternellement”. Qu’on en juge : part quelques gros employés et quelques larbins qui gagnent 30 F par semaine à moucharder leurs camarades et, entre parenthèses, qu’on e toujours soin de montrer aux visiteurs de l’établissement pour prouver la philanthropie de ces messieurs, le salaire de la majorité des ouvriers n ‘est en moyenne que de 16 à 18 F par semaine. Beaucoup d’ouvriers ne gagnent même que de 6 à 9 P. Monsieur Julien, en parlant de bien payer, s’est peut-être trompé, Ha sans doute voulu parler des maisonnettes de la cité, qu’il loue 2,50 F par semaine. Ce qui est bien payé pour des loyers de campagne. -
Naturellement, le secret des syndiqués ne pouvait être gardé bien longtemps et les maîtres en eurent bientôt vent Voulant briser tout de suite cette résistance inattendue à leur autocratie, ils interrogèrent samedi dernier un de leurs employés qui est lui-même syndiqué. Celui-ci répondit franchement qu’il appartenait au syndicat et que c’était son droit Devant une réponse -aussi catégorique, les patrons habitués depuis longtemps à une obéissance passive, lui donnèrent immédiatement congé pour la quinzaine. Tous les syndiqués furent convoqués pour lundi à une réunion à Friville. A la majorité absolue, les ouvriers se déclarèrent solidaires de leur camarade.
En rentrant à Fressenneville, une manifestation s’organisa au chant de l’internationale et de la carmagnole.

Le mardi, lorsque l’employé revint à son travail, les patrons lui offrirent de lui payer tout de suite sa quinzaine pour le renvoyer définitivement de l’atelier, ce qu’il refusa catégoriquement. Le secrétaire du syndicat fut alors chargé de s’aboucher avec les patrons, à midi, il fit cette démarche et reçut pour réponse qu’on ne voulait pas parlementer avec le syndicat. C’était la lutte ouverte. A la rentrée de 2 heures, l’employé fut mis à la porte malgré sa résistance et les patrons déclarèrent que tous ceux qui étaient syndiqués pouvaient s’en aller également.
C’est ce que firent immédiatement 250 camarades. Une cinquantaine de timides étaient restés dans l’atelier, mais une heure après, ils se joignirent aux autres.
Cette fois c’était: La grève.
Elfe fut déclarée immédiatement par acclamation. Les ouvriers se formèrent en cortège et parcoururent les principales rues du pays.
Surexcités par le refus du plus insolent des Riquier “Edouard”, ils commencèrent à briser les vitres des habitations des patrons et contre-coups, haïs depuis longtemps de la population pour toutes vexations qu’ils font subir journellement aux malheureux ouvriers.
Se dirigeant ensuite vers le château du patron-maire Julien Riquier, ils enfoncèrent les portes et le saccagèrent en partie. De là, ils allèrent rendre visite à l’associé : Edouard Riquier, cousin germain du premier, par le sang et par la morgue. En un clin d’oeil, portes et grilles de la demeure seigneuriale sont enfoncées, la foule pénètre comme une trombe dans les luxueux appartements, casse tout, brise tout sur son passage et jette les meubles finement sculptés par les fenêtres, met le château complètement à sac. La spontanéité du mouvement n’a pas permis aux autorités de faire venir à temps les baïonnettes. Quant aux gendarmes de Valines, ils s’étaient prudemment cachés dans les caves du contremaître, l’adjoint dont la maison n’a pas été épargnée. Les ouvriers ont composé eux-mêmes une carmagnole.

La manifestation du soir - l’incendie du château :
Vers les 7heures, lorsque les grévistes attaquaient la maison du directeur, ils eurent à essuyer des coups de révolver, tirés sur eux, de l7ntérieur, par le fils du directeur, dit-on, ou par les gendarmes qui s’y tenaient cachés. Ces coups de feu mirent le comble à l’exaspération des ouvriers. Edouard Riquier, paraissant en auto, fut salué à coups de pierres. Une réunion eut lieu chez les Papillon.
Peu après cette réunion, ils retournèrent par la rue qui contourne l’église, au château de Mr Edouard Riquier. Avec des moellons et des briques provenant de la démolition de l’ancienne église, ils assaillirent le château, puis pénétrant à l’intérieur, ils recommencèrent à défoncer les fûts de vin, démolirent et brisèrent tout ce qui était encore intact: meubles, objets d’art, etc..., et jetèrent le tout dans la mare. Les portraits de la famille de Mr Riquier furent déchirés et piétinés.
A ce moment, on annonça l’arrivée d’un détachement du 72ème, venant d’Abbeville. Un certain nombre de manifestants se rendirent au devant des soldats en chantant la “carmagnole”, mais quand la troupe pénétra dans le pays, ils l’accueillirent aux cris de “vive l’Armée”.
Pendant ce temps, on mettait le feu au château. Il était 8 heures. L’incendie se propagea avec une rapidité si grande qu’aucun secours ne put être apporté et bientôt, de la magnifique demeure de Mr Riquier, il ne resta que quatre murs. L ‘automobile avait été, au préalable, réduite en pièces. Pendant l’incendie, plusieurs d’entre eux sont allés chercher, dans une remise située à près de 150 mètres de la maison qui brûlait, une “victoria”, l’ont amenée et l’ont jetée dans le foyer de l’incendie. C’était un aliment de plus pour les flammes.
Les pompiers des communes voisines furent empêchés d’éteindre : “Laissez brûler”, leur dit-on, et les tuyaux furent crevés, pendant que l’on entassait les meubles vernis dans la mare.
De l’enquête à laquelle s’est livré le Parquet, il paraîtrait résulter qu’un bidon de pétrole aurait été déposé dans le lit de Mme Edouard Riquier et que c’est en cet endroit que le feu e pris naissance.
Les faits importants du lendemain mercredi sont : l’arrivée de nombreux soldats et gendarmes, la descente du Parquet d’Abbeville, du Sous-Préfet et même du Procureur Général d’Amiens. Le Député-Maire d’Eu est allé au Ministère réclamer du plomb pour les grévistes; le sous-ordre de Clémenceau a répondu que toutes les mesures avaient été priLes attroupements sont interdits et les cafés fermés après 8heures du soir, par arrêté préfectoral, l’autorité est allée plus vite en besogne que pour sauver les mineurs ensevelis dans les mines (une catastrophe minière venait d’ensevelir 1200 mineurs).
Les syndiqués réunis à Escarbotin, ont voté la grève générale pour toutes les usines métallurgistes du Vimeu, prenant ainsi fait et cause pour les ouvriers de Fressenneville, défenseurs du droit syndical, devant le refus net et cassant d’Edouard Riquier de reconnaître ce droit ratifié par la loi bourgeoise elle-même. Les Riquier sont disparus, on ne les a pas revus. Bon voyage l Les pompiers ont disposé leurs pompes dans les cours de l’usine, de la demeure de Julien Riquier et de celle du directeur, dans la crainte de nouveaux incendies. L’ouvrier congédié travaille depuis neuf ans à l’usine Riquier, c’est assez dire s’il connaît la façon “toute paternelle”dont on est traité dans ce bagne. Lorsqu’on voulut le forcer à sortir de l’usine, il paraît qu’il répondit que l’usine “appartenait aux ouvriers” et non au patron et que, par conséquent, il était- lui ouvrier- chez lui. Ce propos explique pourquoi l’usine, elle-même, n’a pas eu à subir des déprédations des grévistes qui, d’après leur théorie, doit, un jour ou l’autre, leur revenir.
(Bibliothèque d’Abbeville, extrait du musée social)

Le pillage a commencé dans la maison de Mr Julien Riquier:
- trois pièces du rez de chaussée furent mises à sac
- les portes de la cave sont défoncées
- femmes, hommes et enfants sont bientôt ivres et leur ivresse furieuse les pousse vers la maison de Mr Edouard.
Là, plus de retenue, l’ivresse a fait son oeuvre.
Tout le monde se rue au pillage.
La foule bientôt lassée court de nouveau à la maison de MrJulien. Mais là, deux domestiques avaient attachés les grilles avec des chaînes. Et après quelques essais infructueux, on revînt à la villa de Mr Edouard. Ce qui ne pouvait être détruit ou lacéré fut jeté dans une mare d’eau croupissante qui se trouve de l’autre côté de la rue. Enfin, on mit le feu et bientôt cette belle villa, qui venait à peine d’être terminée, ne fut plus qu’un brasier. Et, pendant ce temps, que faisaient les trois gendarmes de Valines.
- l’un fut trouvé tremblant de peur dans un bosquet du jardin. La foule ne lui fit aucun mal.
- un autre resta caché jusqu’à la nuit dans un coffre à avoine.
- et le troisième s’ensevelit sous des paillassons dont le jardinier se servait pour couvrir ses couches.
Ce n’est qu’à huit heures du soir qu’arriva un capitaine de gendarmerie avec 25 hommes d’infanterie. Il dut se contenter de regarder brûler la maison et d’assister, témoin impassible, à l’orgie furieuse que l’ivresse avait déchaînée. L’état de la foule était tel, dit-il dans son rapport, qu’on n’aurait pu en venir à bout qu’à coups de fusil.
L’usine a été réouverte le 20 août.
Les fauteurs du désordre n’ont pas été punis.
Trente deux devaient être envoyés devant les assises.
12 étaient des ouvriers de l’usine.
1 seul d’entre eux avait 32 ans, les autres de 16 à 25 ans seulement.
Tous furent compris dans l’amnistie nationale, aucun ne fut condamné.
L’état d’esprit de la population est à noter. Il y règne un mélange singulier d’immoralité et de religiosité. Les naissances illégitimes sont très nombreuses. Une jeune fille qui s’était signalée dans le pillage et se trouvait une des principales inculpées dans le procès des incendiaires, édifiait la paroisse, tout de blanc vêtue, suivant la coutume, à l’enterrement d’une autre jeune fille du pays. La population est d’ailleurs fort calme d’ordinaire.
ses afin que l’ordre ne soit plus troublé.
Les attroupements sont interdits et les cafés fermés après 8heures du soir, par arrêté préfectoral, l’autorité est allée plus vite en besogne que pour sauver les mineurs ensevelis dans les mines (une catastrophe minière venait d’ensevelir 1200 mineurs).
Les syndiqués réunis à Escarbotin, ont voté la grève générale pour toutes les usines métallurgistes du Vimeu, prenant ainsi fait et cause pour les ouvriers de Fressenneville, défenseurs du droit syndical, devant le refus net et cassant d’Edouard Riquier de reconnaître ce droit ratifié par la loi bourgeoise elle-même. Les Riquier sont disparus, on ne les a pas revus. Bon voyage l Les pompiers ont disposé leurs pompes dans les cours de l’usine, de la demeure de Julien Riquier et de celle du directeur, dans la crainte de nouveaux incendies. L’ouvrier congédié travaille depuis neuf ans à l’usine Riquier, c’est assez dire s’il connaît la façon “toute paternelle”dont on est traité dans ce bagne. Lorsqu’on voulut le forcer à sortir de l’usine, il paraît qu’il répondit que l’usine “appartenait aux ouvriers” et non au patron et que, par conséquent, il était- lui ouvrier- chez lui. Ce propos explique pourquoi l’usine, elle-même, n’a pas eu à subir des déprédations des grévistes qui, d’après leur théorie, doit, un jour ou l’autre, leur revenir.
(Bibliothèque d’Abbeville, extrait du musée social)

Le pillage a commencé dans la maison de Mr Julien Riquier:
- trois pièces du rez de chaussée furent mises à sac
- les portes de la cave sont défoncées
- femmes, hommes et enfants sont bientôt ivres et leur ivresse furieuse les pousse vers la maison de Mr Edouard.
Là, plus de retenue, l’ivresse a fait son oeuvre.
Tout le monde se rue au pillage.
La foule bientôt lassée court de nouveau à la maison de MrJulien. Mais là, deux domestiques avaient attachés les grilles avec des chaînes. Et après quelques essais infructueux, on revînt à la villa de Mr Edouard. Ce qui ne pouvait être détruit ou lacéré fut jeté dans une mare d’eau croupissante qui se trouve de l’autre côté de la rue. Enfin, on mit le feu et bientôt cette belle villa, qui venait à peine d’être terminée, ne fut plus qu’un brasier. Et, pendant ce temps, que faisaient les trois gendarmes de Valines.
- l’un fut trouvé tremblant de peur dans un bosquet du jardin. La foule ne lui fit aucun mal.
- un autre resta caché jusqu’à la nuit dans un coffre à avoine.
- et le troisième s’ensevelit sous des paillassons dont le jardinier se servait pour couvrir ses couches.
Ce n’est qu’à huit heures du soir qu’arriva un capitaine de gendarmerie avec 25 hommes d’infanterie. Il dut se contenter de regarder brûler la maison et d’assister, témoin impassible, à l’orgie furieuse que l’ivresse avait déchaînée. L’état de la foule était tel, dit-il dans son rapport, qu’on n’aurait pu en venir à bout qu’à coups de fusil.
L’usine a été réouverte le 20 août.
Les fauteurs du désordre n’ont pas été punis.
Trente deux devaient être envoyés devant les assises.
12 étaient des ouvriers de l’usine.
1 seul d’entre eux avait 32 ans, les autres de 16 à 25 ans seulement.
Tous furent compris dans l’amnistie nationale, aucun ne fut condamné.
L’état d’esprit de la population est à noter. Il y règne un mélange singulier d’immoralité et de religiosité. Les naissances illégitimes sont très nombreuses. Une jeune fille qui s’était signalée dans le pillage et se trouvait une des principales inculpées dans le procès des incendiaires, édifiait la paroisse, tout de blanc vêtue, suivant la coutume, à l’enterrement d’une autre jeune fille du pays. La population est d’ailleurs fort calme d’ordinaire.


Il n’y eu pas d’autre château brûlé dans le Vimeu.
Le Syndicat du Cuivre, devenu Syndicat CGT des Métaux s’est structuré étant reconnu comme principal interlocuteur du patronat local. Une anecdote remontant à avril 1983 nous rappelle le caractère trempé des salariés du Vimeu : Le Syndicat patronal locale tardait à mettre en place la réduction d’une heure de la durée du travail mise en place par le nouveau gouvernement d’ « union de la gauche ». Exaspéré par l’ironie de l’illustre De Monclin porte parole du patronat vimeusien de l’époque, une manifestation au siège de la Chambre patronale de Woincourt dégénéra, les manifestants s’en prirent aux locaux, sortirent le mobilier et les ornements de la maison des patrons, comme pour affirmer que les moyens de leurs pères utilisés en 1906 lorsqu’il fallait faire appliquer la loi aux patrons demeuraient. Le syndicat patronal en tira vite la leçon et un accord sur 38h 30 fut appliqué.
Les travailleurs du Vimeu savent montrer qu’ils existent et qu’ils ne doivent pas être traités différemment, dur au travail, patients, mais aussi dur quand ils se sentent humiliés ou maltraités, ils ne s’embarrassent pas des protocoles ou des manières pour se faire respecter. Cet aspect anarcho-syndicaliste traversera le siècle, il reste difficile à corriger, bien que la culture syndicale évolue et s’élargie vers différents aspects de la vie économique et sociale, les ouvriers du Vimeu restent attachés à de grands principes d’identités.
C’est sûrement une qualité.

Aucun commentaire: